World Gastroenterology Organisation Global Guideline
2009
Equipe de reviewers:
Lance Uradomo
Henry Cohen
Michael Fried
John Petrini
Madan Rehani
Jean-Jacques Gonvers
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Les radiations ionisantes sont utilisées en médecine tant à des fins diagnostiques que thérapeutiques. La majorité des gastro-entérologues sont familiers avec les méthodes radiologiques de diagnostic des anomalies du tractus digestif, d’évaluation des organes solides de l’abdomen et de mise en place de dispositifs thérapeutiques. Il est essentiel d’établir en toutes circonstances l’indication adéquate pour l’utilisation de radiations ionisantes afin d’éviter l’exposition inutile des patients et du personnel à des radiations potentiellement nocives. L’utilisation thérapeutique des radiations n’entre pas en ligne de compte dans cette directive.
Actuellement, l’utilisation des radiations ionisantes en gastro-entérologie traverse une période de transition. Autrefois, les gastro-entérologues pratiquaient toute une série d’interventions comportant une exposition à des radiations ionisantes, telles que transit et lavement barytés, mise en place de sondes à biopsie intestinale, dilatation oesophagienne, aide à la coloscopie, de même que des interventions diagnostiques et thérapeutiques sur les voies pancréato-biliaires lors de cholangio-pancréatographie rétrogrades endoscopiques (CPRE). La CPRE est actuellement l’intervention qui requiert le plus souvent une exposition aux rayons X de même que la mise en place de stents et les dilatations. Les gastro-entérologues pratiquant les CPRE travaillent souvent dans des centres spécialisés où ils peuvent être amenés à pratiquer de telles procédures plusieurs fois par jour. A chaque fois qu’un équipement radioscopique et/ou des rayons X sont utilisés, les gastro-entérologues devraient veiller à minimiser les risques pour les patients, pour eux-mêmes et pour les autres membres du personnel.
Lorsque la radioscopie est utilisée comme aide à la coloscopie, lors de dilatations ou de mise en place de stents, il est recommandé de réduire au minimum le temps de radioscopie.
Pendant la CPRE, la radioscopie est utilisée pour vérifier le positionnement des cathéters et des fils guides. Une fois le produit de contraste injecté, la radioscopie est utilisée afin d’évaluer l’anatomie des canaux biliaires et pancréatiques et d’établir s’il existe une atteinte de ces organes. Une documentation photographique est habituellement établie afin de documenter les observations en saisissant la dernière image radioscopique, une image particulière ou une séquence d’images, selon les caractéristiques de l’équipement utilisé. La radioscopie est également nécessaire pour effectuer des gestes thérapeutiques—notamment une sphinctérotomie, une extraction de calcul, une biopsie ou une cytologie et la mise en place de stent. Il est probable que, dans le futur, d’autres dispositifs permettant une visualisation directe des canaux permettront de réduire l’utilisation de la radioscopie.
Pour le patient, la source d’exposition est représentée par le faisceau direct de rayons X émanant du tube à rayons X. Il est estimé que les patients subissent environ 2–16 min de radioscopie pendant la CPRE, et nettement davantage lors de procédures thérapeutiques. Des études ont démontré des valeurs de produit dose-surface (PDS) d’environ 13-66 Gy/cm2 pendant la CPRE. Des doses effectives de 2 à 6 mSv par examen ont été rapportées.
Pour l’endoscopeur et pour le personnel, la source principale d’exposition aux rayons X est la radiation diffusée par le patient et non pas le faisceau primaire de rayons X. Des doses effectives d’environ 0.07 mSv par examen ont été observées chez les endoscopeurs qui portent un tablier de plomb. Même si le corps de l’endoscopeur est bien protégé par le tablier de plomb, les doses de radiations sur les parties non protégées du corps peuvent être significatives. Des doses moyennes pour les yeux de 0.1–1.7 mGy par examen et des doses d’environ 0.5 mGy pour les mains ont été rapportées. Les doses subies par les assistants sont généralement plus basses du fait qu’ils se tiennent habituellement plus éloignés du patient. Elles dépendent de leur emplacement et du temps passé à proximité de la source de rayons X.
Les rayons X sont des radiations ionisantes telles que les rayons gamma ou autres types de radiations émises par des substances radioactives. Ils induisent une ionisation dans le milieu qu’ils traversent. L’ionisation ainsi produite peut endommager l’ADN ou conduire à la mort cellulaire. La question des effets des radiations nécessite des explications, étant donné que souvent c’est la peur des radiations ou la sous-estimation de leurs effets qui sont à l’origine de la perception du risque plutôt que le risque des radiations ou leurs effets en soi.
Les effets des radiations ionisantes peuvent être classés en deux catégories : les effets déterministes, comme le développement d’une cataracte, une perte temporaire ou permanente de la fertilité, des brûlures de la peau, ou une perte des cheveux ; et les effets stochastiques (aléatoires) (induction de cancers et de maladies génétiques dans la descendance).
Les effets déterministes (principalement la cataracte et l’alopécie) ont été documentés chez les radiologues et les cardiologues interventionnels. Par contre, de tels effets n’ont pas été rapportés chez les gastro-entérologues, chez lesquels les doses observées de radiations utilisées sont relativement basses par rapport aux doses observées chez les radiologues et les cardiologues interventionnels.
Les dommages dépendent de la quantité de radiations absorbées par le corps humain, ce qu’on appelle la dose de radiation ou simplement « la dose ». Les effets déterministes ont un seuil, tandis qu’il n’existe pas de seuil pour les effets stochastiques qui peuvent survenir à n’importe quel taux d’exposition aux radiations, même à des taux très bas. En ce qui concerne les effets stochastiques, la probabilité d’effets est proportionnelle à la dose de radiations absorbées. Sur cette base, les organisations internationales se sont mis d’accord sur le principe d’une utilisation de doses aussi faibles que possibles (ALARA : “as low as reasonably achievable”). Ceci ne signifie pas que des effets carcinogènes ou héréditaires se produiront certainement à des taux de radiations plus bas (par exemple, à des doses de quelques millisieverts par année). C’est un peu comme le risque de se faire écraser en traversant la route : plus on traverse la route, plus il est probable qu’un tel accident se produise. On peut très bien traverser la route une centaine de fois sans se faire écraser, mais la probabilité augmente à chaque fois qu’on la traverse. C’est dans cette optique que le principe « ALARA » devient significatif.
Il n’est pas possible de documenter les effets des radiations subies par les gastro-entérologues pratiquant CPRE ou radioscopie. Les doses pour le corps entier sont de 0-3 mSv par année lorsque les moyens de protection appropriés sont employés. La dose limite recommandée par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) et approuvée par la plupart des pays est de 20 mSv/année. Dans les cas où la dose limite annuelle dépasse 20 mSv, il est recommandé de ne pas dépasser 50 mSv pour une année spécifique ou 100 mSv sur 5 ans. Cette dose limite se base sur une estimation du risque des radiations pendant toute une vie professionnelle entre les âges de 18 et 65 ans (47 années) à un taux de 20 mSv par année, donc 20 x 47 = 940 mSv (environ 1 Sv), ce qui correspond à une augmentation du risque de cancer de 1/1000 par rapport à l’incidence normale de cancer.
Les gastro-entérologues peuvent se poser la question de savoir s’il est possible d’effectuer l’ensemble de leur parcours professionnel sans souffrir des effets nocifs des radiations. La réponse est oui : c’est tout à fait possible—dans des conditions optimales, c’est-à-dire quand:
Les mains peuvent tolérer une exposition plus importante aux radiations (500 mSv par an comme dose limite), mais il est fortement recommandé d’éviter de placer les mains dans le rayonnement direct, plutôt que de porter des gants de plomb.
Dans certaines situations, la protection des patients peut constituer un défi considérable. Jusqu’à il y a environ 10 ans, les programmes de protection contre les radiations étaient largement dominés par un souci de protection du personnel. La plupart des pays ont instauré un système dans lequel il est obligatoire de contrôler de près la dose de radiations subie par le personnel travaillant avec les radiations et de tenir un registre à vie des doses auxquelles la personne a été exposée. La protection des patients a été considérée comme moins importante, sur la base de l’hypothèse erronée que les patients ne subissent des examens faisant intervenir des rayonnements ionisants que quelques fois pendant toute leur vie. Il a toujours été considéré que le concept de limitation de la dose ne s’appliquait pas aux patients, pour ne pas restreindre les bénéfices médicaux potentiels associés à l’utilisation des radiations ionisantes. Des cas de lésions dues aux radiations, en particulier au niveau de la peau, ont cependant été documentés chez les patients subissant des examens interventionnels cardiologiques et radiologiques nécessitant des périodes de radioscopie prolongées (1h ou plus), ou chez des patients subissant des expositions répétées sur la même partie du corps. La protection des patients est devenue plus importante maintenant qu’il a été reconnu qu’il existe un risque beaucoup plus élevé d’exposition aux radiations chez les patients, qui peuvent recevoir une dose de radiations lors de CT-scans plus élevée que la dose totale reçue par un membre du personnel pendant sa vie entière.
L’importance accordée très tôt à sa protection a amélioré la sécurité du personnel. Des données rapportées par le Comité scientifique des Nations-Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR) montrent que la dose de radiation moyenne effective subie par les personnes travaillant avec les radiations ionisantes dans le milieu médical est typiquement <2 mSv par an [1]. Cette dose est inférieure à la dose que reçoit la population à partir de la radioactivité naturelle (rayonnement cosmique, rayonnement tellurique, radon, matériaux de construction, aliments). Cette radiation naturelle dépend de plusieurs facteurs, liés principalement au lieu de résidence. La dose moyenne globale est de 2.4 mSv par an, mais peut atteindre 10 mSv par an dans quelques endroits où l’on sait qu’il existe de plus grandes quantités de substances radioactives dans la terre ; elle dépend également du niveau local de radon.
La dose de radiations que reçoit le patient dépend de plusieurs facteurs, dont ceux relevés ci-dessous.
Facteurs en relation avec les patients
Facteurs en relation avec l’équipement
Facteurs en relation avec l’examen
La dose de radiations subie par le patient peut être réduite au minimum en optimisant les facteurs cites ci-dessus tout en gardant une image de la meilleure qualité possible pour un examen réussi. Plus exactement, les recommandations sont les suivantes:
La protection contre les radiations est aussi importante dans les établissements possédant un équipement de radioscopie moderne que dans les établissements possédant un équipement plus ancien. Il est essentiel d’effectuer une anamnèse détaillée du patient comprenant une analyse des examens radiologiques antérieurs, de rechercher une notion de sensibilité aux radiations et d’autres facteurs qui pourraient influencer l’exposition aux radiations. Il faut toujours appliquer le principe d’une utilisation de doses aussi faibles que possible (ALARA : “as low as reasonably achievable”).
Les niveaux de ressources mentionnés ci-dessous fournissent des options de gestion tenant compte des ressources à disposition.
Niveau 1: ressources importantes
Niveau 2: ressources moyennes
Niveau 3: ressources faibles
Grossesse
Si une femme enceinte nécessite une CPRE thérapeutique, il est essentiel d’avoir une technique optimale respectant au pied de la lettre les prescriptions ci-dessus. En outre, s’il y a des risques que le foetus soit dans l’axe du faisceau de rayons X primaire, la mise en place d’un tablier de plomb entre la source de rayons X et le foetus est un moyen de protection efficace. Par contre, la mise en place d’un tablier de plomb externe pour protéger le foetus du rayonnement diffusé est inefficace. Le positionnement de la patiente (sur le dos, sur le ventre, ou sur le côté) devrait tendre à minimiser l’exposition du foetus aux radiations [2]. Une projection postéro-antérieure du faisceau de rayons X est recommandée car la dose de radiations subie par le foetus est inférieure de 20-30% par rapport à une projection antéropostérieure en raison de la protection offerte par les tissus de la mère. Une projection latérale confère également une protection accrue au foetus, mais la dose de radiations pour la patiente peut être de 3 à 7 fois plus élevée qu’avec une projection frontale. Il en résulte en définitive une dose plus élevée pour le foetus [2].
Une autre technique, pour éviter toute exposition aux radiations, consiste à pratiquer la CPRE sans radioscopie, en utilisant des guides pour canuler les différents canaux. Une choledochoscopie permet de vérifier l’élimination des calculs. Cependant, cette approche représente un défi technique et ne peut être utilisée que par des endoscopeurs avec une très grande expérience des voies biliaires.
Enfants
Toutes les recommandations citées ci-dessus s’appliquent également aux enfants ; en particulier, il est nécessaire de protéger la thyroïde et, chez les jeunes filles, les seins, à l’aide d’écrans ou en ajustant le faisceau de rayons X chaque fois que cela est possible.
La dose absorbée est l’énergie moyenne transmise par le rayonnement ionisant, à la matière, par unité de masse. Elle s’exprime dans le système international (SI) en joule par kilogramme et son unité est le Gray (Gy).
Une description plus détaillée se trouve dans le Rapport 74 de la Commission internationale des unités de rayonnements et des mesures (ICRU) [3] et dans le rapport technique 457 de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) [4].
La dose à un tissu ou organe est définie par la CIPR [5,6] comme l’énergie totale transmise à un tissu ou un organe divisée par la masse du tissu ou de l’organe considéré. Elle s’exprime dans le système international (SI) en joule par kilogramme (J.kg-1), et son unité est le Gray (Gy).
La dose équivalente à un tissu ou un organe est la dose absorbée corrigée par un facteur de pondération qui tient compte du type et de l’énergie de la radiation pour indiquer les implications biologiques de l’exposition dans le cadre des effets stochastiques. Le facteur de pondération pour les rayons X vaut 1,0. Elle s’exprime dans le système international (SI) en joule par kilogramme (J.kg-1), et son unité est le sievert (Sv).
La dose efficace définie par la CIPR [5,6] représente la somme des doses absorbées par exposition interne et externe aux différents tissus et organes du corps, pondérée par deux types de facteurs, ceux tenant compte du type et de l’énergie des rayonnements et ceux tenant compte de la radiosensibilité des tissus et organes. C’est un indicateur du risque d’effets stochastiques. Elle s’exprime dans le système international (SI) en joule par kilogramme (J.kg-1), et son unité est le sievert (Sv).
La CIPR a toujours indiqué que les doses efficaces délivrées lors d’investigations médicales ne devraient pas être utilisées directement pour estimer les atteintes dues aux applications médicales tant au niveau individuel qu’au niveau de la population (en utilisant par exemple les valeurs de probabilité de mort par cancer par unité de dose efficace proposé par la CIPR).
Ce type d’estimation serait inadéquat et ne servirait aucun but au vu des incertitudes résultant des différences démographiques potentielles (en termes de statut de santé, d'âge et de sexe) entre des populations particulières de patients et les populations générales pour qui la CIPR a estimé les coefficients de risque. Il a été suggéré, par exemple, que la dose efficace pourrait sous-estimer les atteintes dues aux expositions diagnostiques chez les jeunes patients d’un facteur de l’ordre de 2 et, au contraire, pourrait surestimer le préjudice de l'exposition de patients âgés d'au moins un facteur 5 … En dépit des limites de la dose efficace, on trouvera en annexe de ce document des valeurs de doses représentatives de la pratique radiologique pour comparer les doses associées aux différentes procédures diagnostiques.
Il est donc possible d’employer la dose efficace et même la dose collective pour estimer l’exposition lors des diagnostics médicaux, tant que ceci est effectué à des fins de comparaison et pour une même population de patients ou une population identique. Des considérations supplémentaires ou des corrections significatives seraient nécessaires si ceci est employé à des fins de comparaison avec d’autres populations.
Le kerma dans l’air est la somme des énergies cinétiques de toutes les particules chargées mises en mouvement par des particules non chargées, par unité de masse. Un certain nombre d’anciennes publications expriment les mesures en termes de la dose absorbée dans l’air. Des publications récentes ainsi que le Code de bonne pratique de l’AIEA à paraître prochainement mentionnent que la détermination expérimentale de cette grandeur est difficile, en particulier aux alentours d'une interface; en réalité, ce que les dosimètres enregistrent n’est pas l’énergie absorbée dans l’air mais l'énergie transférée par la radiation aux particules chargées du fait de l'ionisation. Pour ces raisons, le Code de bonne pratique de l'AIEA ainsi que le Rapport 74 de l’ICRU recommandent l'utilisation du kerma dans l’air plutôt que la notion de dose absorbée dans l’air. Il s’exprime dans le système international (SI) en joule par kilogramme (J.kg-1) et son unité est le Gray (Gy).
La recommandation ci-dessus s’applique à l’air. Pour les tissus, il est également correct d’estimer la dose absorbée par la peau en utilisant le coefficient de correction nécessaire pour obtenir la dose absorbée par le tissu du kerma dans l’air.
La dose collective correspond à la mesure de la dose efficace totale multipliée par la grandeur de la population exposée. La dose collective s’exprime habituellement en unités de personne-sieverts.